Bonjour et bienvenue,
c'est Bertrand de la Fondation MAGister,
l'École des Héros du Monde Réel.
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Toutes les controverses qu'il y a autour de Didier Raoult en ce moment,
et l'étonnement de certaines personnes vis-à-vis de ces controverses,
ça m'a rappelé qu'on a trop tendance à idéaliser la science et la recherche scientifique quand on ne baigne pas dedans.
On fait des projections, on s'imagine les chercheurs comme des grands savants objectifs qui savent exactement ce qu'ils font.
Mais la vérité c'est que c'est l'ignorance qui permet à ces projections d'exister.
De la même manière que c'est l'ignorance qui nous fait être impressionné par les personnes qui n'ont pourtant qu'un niveau juste normal dans un domaine pour lequel nous on ne connait rien et on ne comprend rien.
Vous savez quand on ne connait rien et qu'on ne comprend rien dans un domaine n'importe quelle personne qui se débrouille assez bien dans ce domaine nous semble être une sorte d'expert ayant un niveau inaccessible.
Parce qu'on n'arrive pas intuitivement à quantifier l'écart entre elle et nous.
On n'arrive pas à comprendre comment elle fait ce qu'elle fait.
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Il se passe la même chose quand on commence à découvrir un nouveau domaine.
Au début, on est perdu, notre carte mentale du domaine est vierge,
tout est nouveau,
on n'arrive pas à quantifier l'étendue de ce qu'on a à apprendre ;
et par conséquent l'étendue du domaine nous semble beaucoup plus grande que ce qu'elle est vraiment.
Et quand on avance dans ce domaine, qu'on devient familier avec, qu'on développe des repères,
un moment donné on va commencer à se rendre compte qu'on en a fait le tour,
et on sera étonné de réaliser que ce n'était pas si grand.
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D'ailleurs ça le fait avec les personnes aussi.
Souvent quand on rencontre une personne et qu'on la voit rarement il y a beaucoup de mystère et de projections au début.
On s'en fait une image un peu fantasmatique.
Mais quand on commence à la connaître en privé et devenir familier avec,
le mystère s'envole, l'image fantasmatique se casse, et c'est comme si c'était une personne différente.
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De la même manière, quand on est enfant on a l'impression que les adultes sont tellement au dessus de nous physiquement et intellectuellement.
Alors que quand on grandit et qu'on devient adulte, on est souvent étonné de réaliser qu'en fait ils n'étaient pas si "élevés" et qu'on les a dépassé.
On peut même être étonnés de se rendre compte qu'en fait ils sont à la ramasse.
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En ce qui me concerne plus j'ai baigné dans le domaine de la recherche scientifique,
plus je me suis rendu compte que c'était un domaine peuplé d'être humains normaux se comportant comme des êtres humains normaux.
Certes la plupart des chercheurs sont experts dans une spécialité particulière mais à part ça, ils ont un niveau plutôt amateur dans le reste,
ils ont souvent beaucoup de lacunes, de biais et d'angles morts, comme les gens ordinaires.
Beaucoup ont tellement investi dans un paradigme durant leur longue carrière qu'ils sont devenus assez fermés et obtus à ce qui s'oppose à leur paradigme,
un peu des comme des politiciens.
Comme si leur paradigme faisait partie d'eux et de leur valeurs et qu'ils se sentaient menacés par ces paradigmes alternatifs.
Ils n'arrivent plus à sortir de la position dans laquelle ils se sont creusés.
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La science est fondée sur des idéaux mais son éxecution met justement d'autant plus en lumière les difficultés, les conflits d'intérêts et les contraintes humaines qui se mettent en travers de la réalisation de ces idéaux.
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Mais avant d'aller plus loin,
si vous ne me connaissez pas et que vous vous demandez pourquoi m'écouter,
je suis docteur en sciences cognitives.
Les sciences cognitives qu'est-ce que c'est, c'est grosso-modo l'étude moderne du fonctionnement de l'esprit.
Ça ne veut pas dire que tout ce que je dis est forcément vrai.
Non, c'est juste un indicateur que je prends la recherche et la compréhension au sérieux.
Mais personne ne peut prétendre dire que des choses vraies à part les personnes qui sous-estiment leur ignorance.
Vous devez toujours garder un esprit critique.
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Au début de ma vingtaine, quand je commençais à m'intéresser sérieusement à la compréhension du cerveau, de l'esprit, de la conscience, de la vie, de la perception, de la réalité, etc
À un moment donné je me suis imaginé faire des études là dedans et plus tard rejoindre le monde de la recherche scientifique.
Et je me disais naïvement que ça allait être trop cool, il allait y avoir plein de gens fondamentalement intéressés par la recherche avec lesquels je pourrais échanger.
Je m'étais imaginé que le domaine de la recherche scientifique rassemblait uniquement des esprits "purs", motivés par la recherche de la vérité, plein d'ouverture et de connaissances en tout genres.
J'avais une vision naïve et déconnectée des réalités de la vie et de ses impératifs pourrait-on dire.
La première chose qui m'a choqué quand je suis arrivé dans le département de psychologie de l'université où j'ai étudié.
C'est de constater qu'il y avait des guéguerres entre différents professeurs, entre différents camps, etc.
Ils n'arrivaient vraiment pas à s'entendre et à discuter sur certains sujets.
Je n'arrivais pas à croire que c'était possible, je n'arrivais pas à croire que c'était sérieux.
Je m'étais imaginé que des personnes expertes de la psychologie devaient être au dessus de tout ça.
Mais non.
C'était juste des êtres humains comme les autres finalement.
Ce n'était pas parce que c'était des professeurs de psychologie que les schémas sociaux étaient différents de ce qu'ils sont ailleurs.
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Parfois les choses sont plus abstraites et pervasives qu'on ne le pense.
Ce qui est assez rassurant, d'une certaine manière.
Avec suffisamment d'expérience, il n'y a plus de surprise et on peut prédire le fonctionnement des choses étant donné la nature des choses.
Les scissions, les querelles entre deux camps qui ne cessent de se chamailler et se mettre des bâtons dans les roues,
c'est un schéma qu'on retrouve un peu partout.
Ça fait partie de la vie humaine en général.
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Le truc c'est que les tares d'un domaine ont très souvent des équivalences dans un autre domaine.
Parce que les domaines se structurent par les composants,
dans le cas des domaines humains, par les dispositions et les comportements humains :
le tout dans l'apparence, l'utilisation de « bullshit » commercial, la difficulté du début, la présence de vieux piliers établis qui n'acceptent pas la nouveauté, l'obligation de fouiller pour trouver les petites perles qui sont cachées, la popularité des produits génériques accessibles, etc.
Ce genre de schémas s'appliquent et se retrouvent dans une grande quantité de domaines.
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Aujourd'hui encore je suis toujours assez étonné du fonctionnement très territorial de la recherche scientifique, comme s'il y avait plusieurs tribus en compétition.
Mais en fait c'est parfaitement logique que cela s'énacte comme ça étant donné les enjeux et étant donné les contraintes de notre cerveau et de notre nature.
C'est notre naïveté qui nous fait imaginer que ça peut être différent et que les êtres humains sont capables de créer une science fonctionnant comme un îlot idéal déconnecté des lois de la nature humaine, un îlot qui a ses propres lois.
En réalité la science est organiquement connectée au reste de la vie, à la culture, à l'économie, à la politique, etc
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Pour en revenir à la recherche de la vérité,
la plupart des personnes que j'ai croisé dans mon parcours de sciences cognitives,
elles étaient vraiment intéressées uniquement par leurs propres sujets de recherche en fait.
Elles n'étaient pas fondamentalement intéressées et motivées par la recherche en général.
Elles étaient plutôt normales à ce niveau, c'est à dire que ça ne leur travaillait pas plus l'esprit que ça de comprendre la réalité,
ça n'occupait pas leur week-ends,
et ça ne les empêchait certainement pas de dormir le soir.
Autrement dit ils étaient globalement encapsulés dans un tunnel mental.
Au début ça m'intriguait parce que ça aussi, ça ne correspondait pas à l'image que je m'étais faite des chercheurs.
Bien sûr à l'époque je n'avais pas encore conscience que c'était aussi par nécessité et par limitation de leurs ressources temporelles et attentionnelles que les chercheurs finissaient par se laisser encapsuler dans des tunnels mentaux.
Avoir le temps de s'intéresser à toutes sortes de sujets est en effet un luxe qui coûte cher quand on commence à accumuler les responsabilités.
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Mais quand même, honnêtement le nombre de personnes profondément curieuses et motivées par la recherche que j'ai croisé dans mon parcours de sciences cognitives,
il est extrêmement bas.
Je dirais 5 % pour être gentil.
Et par personnes profondément curieuses et motivées par la recherche,
imaginez simplement le genre de personnes qui peuvent passer une partie de leur temps libre à chercher à comprendre des phénomènes sans que ce soit lié à une obligation.
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Et en général les curieux, on se connaissait tous car dès qu'on se croisait on s'attirait mutuellement les uns les autres comme des aimants.
On valorisait la même chose, on attisait mutuellement notre curiosité en mentionnant des idées qu'on avait jamais entendues avant.
Là où tout le monde répétait sans cesse les mêmes idées pour défendre leur territoire.
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Quand toi tu es curieux c'est très facile de reconnaître une personne curieuse.
Ça ressort tout le temps.
Typiquement quand tu interragis avec ces personnes peu importe de quoi on parle à la base,
ça dérive toujours sur des réflexions et des questionnements assez profonds qui s'éternisent,
comme si on ne pouvait pas s'empêcher.
C'est une sorte de manifestation de la loi d'attraction si on veut,
le fait que nos valeurs soient alignées faisaient naturellement émerger ce genre d'interactions.
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Et franchement c'est un peu l'opposé avec la plupart des autres personnes.
Avec les autres personnes il faut vraiment insister pour engager des réflexions dignes de ce nom,
et ça dérive rapidement et automatiquement hors des réflexions parce que ça les ennuie.
Ce n'est pas un grand motivateur pour eux.
C'est comme s'il y avait un anti-aimant qui repoussait ça.
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Autrement dit, de mon expérience personnelle, les personnes dans le domaine de la recherche sont assez normales d'un point de vue curiosité.
La curiosité n'est pas spécialement quelque chose qui les motive plus que ça.
Ce n'est pas du tout leur priorité.
C'est à dire qu'ils ne vont jamais délaisser leurs priorités spécifiques et leurs projets de carrière pour s'intéresser profondément à un sujet juste pour la découverte.
Alors qu'une personne vraiment curieuse elle,
au fond elle n'en a rien à faire de tout ce qui est financement, carrière, etc,
dès qu'elle aura l'occasion de découvrir des choses intéressantes,
elle va délaisser tout ça sans même y réfléchir à deux fois.
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Et donc contrairement à ce qu'on pourrait naïvement imaginer,
quand tu es dans la recherche scientifique et que tu es une personne qui se pose sans cesse des questions,
tu ne fais pas partie de la norme.
Non, quand tu es commes ça en science,
c'est comme dans n'importe quel autre domaine,
tu passes pour quelqu'un d'original et d'excentrique par rapport aux autres personnes.
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De manière liée à ça, beaucoup de personnes qui sont dans le domaine de la recherche scientifique ont un niveau pratiquement zéro sur tout ce qui est philosophie, épistémologie, métaphysique.
Ils n'ont pas vraiment un niveau différent là dedans par rapport à une personne ordinaire.
En fait ils ne comprennent même pas à quoi ça sert.
Ce qui est pour moi un paradoxe, parce que c'est à la racine de la science.
Si tu fais de la science mais que tu ne comprends pas du tout l'importance de la philosophie,
alors c'est que tu ne comprends probablement pas bien ce que tu fais et que tu opères à un niveau superficiel.
Ça veut dire que tu n'as aucune idée d'où ce sur quoi tu es en train de travailler est parti à la base avant que toi tu ne travailles dessus.
Ça veut dire que tu es sur une branche mais que tu n'as pas conscience de l'arbre.
Ça veut dire que tu es juste un pion à la surface de quelque chose qui le dépasse complètement.
Un pion qui s'est fait embarqué dans une entreprise et qui n'a toujours pas réalisé dans quoi, parce qu'il n'a pas de repères.
C'est triste car cette absence de fondations philosophiques mène à une forme de dogmatisme scientifique très simiaire au dogmatisme religieux.
Et ne vous méprenez pas, je ne parle pas de devenir expert en épistémologie, non très loin de là, juste d'en avoir une certaine conscience.
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De la même manière, durant tout mon cursus je n'ai jamais vu un professeur ou un étudiant mettre en avant la pratique de la contemplation d'idées et la pratique de la réflexion en partant de zéro, sans se préoccuper de la littérature existante.
Par contre j'en ai vu pas mal critiquer ce genre de pratiques.
Pourtant je suis convaincu que la contemplation et la réflexion en partant de zéro,
ce sont des pratiques clés de la plupart des grands fondateurs dans l'histoire de la science.
Parce que c'est ça qui te sort la tête du guidon et qui te fait explorer et considérer des idées et des hypothèses hors paradigmes existants.
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Et l'ironie c'est que je suis pratiquement certains que les professeurs qui critiquent la contemplation et la réflexion en partant de zéro ne les ont jamais vraiment pratiquées sérieusement.
Je suis prêt à mettre ma main à couper que les professeurs qui m'ont critiqué personnellement à ce niveau,
malgré leur âge beaucoup plus avancé que le mien à l'époque,
n'avaient même pas 10% de mon temps total de pratique de contemplation et de création d'idées.
En fait il est probable qu'ils ne savaient même pas vraiment ce que c'est.
Ils avaient sûrement passé beaucoup beaucoup plus de temps que moi à lire.
Ça c'est sûr.
Mais la lecture ça fait rentrer les idées, ça ne les fait pas sortir.
La lecture a tendance à remplir l'esprit d'idées et de croyances préconçues ce qui limite la contemplation.
La meilleure contemplation se fait sans chercher à s'attacher à quoi que ce soit, un peu comme si on partait de rien.
Si tu veux être créatif il te faut pratiquer des pratiques créatives.
Si tu veux être créatif il faut te comporter comme un artiste.
Mais quand tu es en science et que tu parles de cette attitude d'artiste et de créateur,
la plupart des scientifiques contemporains penseront que tu racontes n'importe quoi et que ce genre d'approches n'a pas sa place en science.
Pour eux c'est juste des élucubrations qui n'ont rien à voir avec la méthode scientifique.
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Et quand tu auras régulièrement de bonnes idées et des bonnes hypothèses grâce à ça ils penseront que tu les copies sur des sources que tu ne révèles pas.
Parce que eux mêmes n'ont aucune idée de comment c'est possible de générer des idées qui ne soient pas des copies.
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Cela dit je comprends d'où vient ce rejet acerbe de la dimension créative en sciences.
Moi même je déteste les personnes qui sortent des théories de leur chapeau sans chercher à s'assurer rigoureusement qu'elles soient bien fondées et cohérentes avec la science actuelle.
J'ai beaucoup plus de sympathie pour les gens qui sont trop ancrés que pour les gens qui sont trop désancrés et qui connectent des idées n'importe comment sans se soucier.
Pour moi les personnes qui se permettent d'écrire des livres sur des théories complètement désancrées à propos de la réalité envoient des gros doigts d'honneur à tous les scientifiques qui s'efforçent de développer des théories intègres, justes et cohérentes.
C'est du manque de respect.
La dimension créative doit être contre-balancée par une volonté de ne pas invalider tout ce qui existe.
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Donc la curiosité épistémique n'est clairement pas un ingrédient nécessaire pour faire carrière en sciences.
La curiosité épistémique est peut-être ce qui va ultimement te mener très loin et te permettre des percées révolutionnaires en sciences.
Ça oui.
Mais ce n'est pas vraiment ça qui va t'aider à faire démarrer ta carrière scientifique et à la stabiliser.
Au contraire, dans bien des cas ta curiosité peut jouer contre toi au début de ta carrière si elle n'est pas contre-balancée.
Parce que tu dois rester focalisé sur un domaine d'étude assez limité, être productif et remplir d'autres responsabilités plus administratives et sociales on va dire.
J'ai vu beaucoup de personnes qui étaient assez élevées en curiosité ne pas réussir à s'adapter aux contraintes et à tout l'aspect exécutif et politique du monde de la recherche.
Leur motivation profonde pour la compréhension les empêchait de bien fonctionner dans le cadre de la recherche.
Moi même ça a été un équilibre que j'ai du travailler dans mon parcours.
Parce que oui, la recherche scientifique est une entreprise beaucoup plus mondaine, industrielle et sociale qu'on ne l'imagine naïvement.
Quand tu es en recherche l'impératif premier n'est pas de faire de la recherche.
Non l'impératif premier est la survie.
Comme partout.
Le monde de la science n'est pas une utopie déconnectée des contraintes de la vie.
Bien au contraire.
Il y a une pression de réussir.
Les meilleurs outils pour faire avancer ta carrière scientifique ce sont grosso-modo les mêmes que dans la plupart des domaines ayant une hiérarchie sociale.
Drive, communication, charisme, autorité, persuasion, vente, image, tout ça joue un rôle important.
C'est comme en politique,
les personnes qui s'élèvent le plus facilement sont bien souvent celles qui ont la personnalité la plus imposante et la plus implantée,
et non celles qui font le plus attention de bien faire les choses
ni celles qui se concentrent à vraiment faire avancer les choses dans l'ombre plutôt que de faire du bruit.
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Et comme dans tous les domaines où il y a une hiérarchie sociale,
beaucoup de personnes sont obsédées par la montée dans la hiérarchie
et pour se faire ils ne vont pas hésiter à exploiter tous les moyens, tous les raccourcis et toutes les failles du système qui existent.
Les "vices" de l'être humain font leur chemin dans tous les domaines pour exploiter les failles.
Le domaine de la recherche scientifique n'est pas une exception à la règle.
Et sur ce on reparle de tout ça dans le prochain épisode !
Maîtrisez votre esprit, développez votre conscience, élevez votre existence !