Le 19/05/2020

Le jeu de la science #0231



Dans cet épisode, on parle des contraintes et des réalités humaines de la science.

Bonjour et bienvenue,

c'est Bertrand de la Fondation MAGister,

l'école des héros du monde réel.

Dans le dernier épisode j'ai commencé à parler des réalités humaines de la science.

Je vous disais que la recherche scientifique est une entreprise beaucoup plus mondaine, industrielle et sociale qu'on ne l'imagine naïvement.

Quand tu es dans la recherche l'impératif premier n'est pas de faire de la recherche.

Non l'impératif premier est la survie.

Comme partout.

Le monde de la science n'est pas une utopie déconnectée des contraintes de la vie.

Bien au contraire.

Il y a une pression de réussir et d'avoir des résultats.

Et comme dans tous les domaines, cette pression fait que c'est difficile de maintenir certains idéaux.

...

Pour commencer la pression de la survie dans le domaine de la recherche, elle s'exprime au niveau du financement.

Tu ne peux pas facilement faire des recherches sur les sujets que tu veux.

C'est souvent un parcours du combattant pour faire des recherches sur ce que tu veux.

C'est grosso-modo l'argent ainsi que les sujets d'actualité et les approches contemporaines  qui dictent ce sur quoi tu peux travailler.

Et ça demande des compétences sociales et des compétences de vente et de persuasion de tirer les choses dans ton sens.

Il faut séduire les décideurs, d'une manière ou d'une autre,

et ça implique beaucoup de préparation.

...

Ensuite il y a la pression de publications d'articles présentant les résultats des recherches.

Publier est en soi un jeu assez complexe.

Un jeu qui te prend tellement la tête qu'en général tu n'as plus la tête à vraiment faire de la recherche.

Sérieusement toutes les contraintes et le stress pour réussir à publier peuvent pratiquement couper ton ouverture et ta curiosité.

Ça oriente énormément l'esprit.

Tu dois prendre énormément de précautions dans ce que tu écris pour coller avec la littérature et les paradigmes existants.

Comme je l'ai déjà mentionné dans l'épisode précédent, les dynamiques territoriales sont très fortes dans le domaine de la recherche.

En gros chaque discipline est comme un système politique.

Et à l'intérieur de chaque discipline, chaque grande théorie est comme un gang.

Et pour la plupart des gens ça ne vole pas très haut,

ils ne peuvent pas se piffrer et passent en mode défense au moindre débat avec les autres gangs.

Ils veulent prouver la supériorité de leur perspective.

Très rares sont les personnes vraiment ouvertes d'esprit capables de prendre du recul et d'intégrer sérieusement les perspectives sans injecter de biais personnel.

Et en fait tu es pratiquement contraint de faire allégance à un territoire parce que quand tu jongles entre les théories, la plupart des gens ne comprennent pas et le prennent mal.

Sans que ce ne soit vraiment dit explicitement,

tu es pratiquement vu comme une sorte de traître,

ou comme une sorte d'infidèle qui joue un double jeu.

Ça déclenche des émotions chez les autres, des émotions qui se mettent en travers de l'objectivité.

Et ils te poussent à choisir une théorie plutôt qu'une autre,

parce que pour eux les théories sont mutuellement exclusives

et quand tu jongles entre les théories et que tu essaies de faire des ponts,

tu es automatiquement considéré comme incohérent.

Ce qui objectivement n'est vraiment pas très malin.

Car dans la plupart des cas les théories sont juste des façons différentes de voir les mêmes choses,

chacune ayant des avantages et des inconvénients.

Rejeter complètement la valeur d'une théorie n'est pas une bonne idée.

Et pourtant beaucoup de chercheurs le font,

ils les considèrent comme leurs ennemis.

Comme s'il ne devait en rester qu'une.

...

Bref et donc quand tu publies tu dois grosso-modo te plier à la politique associée à la revue dans laquelle tu publies,

tu dois prendre en compte la position du comité de relecteurs qui vont probablement évaluer ta publication.

C'est à dire que tu dois citer des choses qui vont leur plaire et éviter de mentionner des choses qui vont leur déplaire.

C'est Game of Throne.

Tu dois te conformer aux attentes.

Si tu veux opérer de manière indépendante et sortir des paradigmes existants,

c'est possible mais tu dois jouer un double jeu et toujours revenir à la charge.

C'est à dire que tes travaux doivent quand même pouvoir être intégrés dans les paradigmes existants.

Quand tu publies tu dois te plier aux contraintes, c'est seulement en privé que tu peux te permettre d'être indépendant.

Et ça demande une intelligence flexible et un coût supplémentaire de réussir à jouer ce double jeu.

Pour ce qui est de revenir à la charge,

le système va naturellement toujours te mettre la pression pour rester dans le moule classique,

et donc si tu ne pousses pas toujours pour en sortir et intégrer de l'originalité,

tu resteras par défaut dans le moule classique.

Il faut constamment se rebeller, comme je vous l'expliquais dans l'épisode 165.

...

Et si vous commencez à penser "oh mon dieu" le système de la recherche est pourri et corrompu,

il empêche de faire convenablement de la recherche de manière plus ouverte.

Non je vous arrête tout de suite.

Tout ça, ce sont des conséquences quasi-inéluctables d'une science organisée, régulée et partagée.

On peut difficilement faire disparaître ce genre d'inconvénients sans perdre en même temps toutes les qualités essentielles qui vont avec.

Certes on pourrait réduire certains problèmes et certains travers qui n'ont pas vraiment lieu d'être,

mais il y aura toujours un prix à payer.

On n'est pas dans le monde des bisounours.

Cette structuration contraignante et relativement rigide et exigente, c'est un mal pour un bien.

Sans compter qu'on ne va pas réinventer l'être humain et faire disparaître ses vices.

On doit faire au mieux avec toutes ses limites et ses contraintes.

C'est un sacré défi.

C'est déjà assez exceptionnel que la science existe en fait.

Pour moi c'est l'une des meilleures choses que l'humanité ait créé.

Je pense que la plupart des gens ne réalisent pas à quel point on a besoin de la science.

Paradoxalement toutes les controverses liées à la science montrent à quel point on en a besoin parce qu'on va naturellement contre la science.Par exemple le côté réductionniste et matérialiste de la science moderne est souvent critiqué.

Et c'est vrai que c'est problématique.

Mais d'un autre côté quand on voit à quel point l'esprit humain est capable de s'envoler dans les nuages et d'élucubrer en roue libre, sans ancrage pour produire des idées et des théories,

il devient évident qu'il faut contre-balancer tous ces biais quand on fait de la science.

Notre esprit est juste bourré de biais que l'on doit garder sous-contrôle.

Et ce contre-balancement mène inévitablement à du scepticisme, du réductionnisme & compagnie, qui peuvent sembler venir d'une intention néfaste de contre-carrer quand on est à l'extérieur de la science,

alors que pas du tout, c'est juste de la prévention.

Mais quand on n'est pas plongé dans la science on ne se rend pas compte de l'importance que ça a et donc on peut avoir l'impression que c'est une forme d'idéologie ou de religion réductionniste.

En gros c'est un analogue du principe de la présomption d'innocence.

Et c'est pareil pour la méthode scientifique.

Les gens qui disent qu'on se fait du mal à toujours suivre la méthode scientifique,

ils sous-estiment souvent l'étendue de la connerie humaine.

La méthode scientifique pour moi elle part d'une acceptation profonde de nos limites et de nos biais.

C'est un aveu de faiblesse.

Un aveu de faiblesse lucide.

L'aveu qu'on ne peut pas se fier à nous-même pour ne pas partir dans des délires,

et que si on se fie à nous-mêmes et qu'on ne met pas en place de système pour contrôler nos biais on est vraiment pas malin.

Si vous voulez c'est un peu l'équivalent d'un système de contrôle pour s'empêcher d'aller sur des sites où l'on va perdre notre temps.

...

Autre exemple de controverse, tout ce qui est manipulation de résultats en science et financement des études scientifiques.

Certains chercheurs sont poussés à voir ce qu'ils veulent voir et montrer certaines choses particulières,

ils sont poussés à manipuler et enjoliver leurs résultats dans le sens de leurs hypothèses pour faire avancer leur carrière et les intérêts de leurs associés sur le court-terme,

que ce soit parce qu'ils subissent la pression de la survie et qu'ils ont besoin de ces résultats maintenant,

ou parce qu'ils veulent s'élever et gagner en reconnaissance,

ou plus simplement parce qu'ils en ont marre de ne pas avoir de résultats.

Tout chercheur sait à quel point ça peut être frustrant et décourageant de passer énormément de temps à monter des expérimentations et le jour de l'analyse des résultats se rendre compte que ça n'a rien donné.

Ça peut être des années de travail sans ce plaisir primitif de trouver des résultats.

Et ce qui ne marche pas n'est pas vraiment publiable et donc ça donne vraiment l'impression d'avoir perdu son temps.

...

Et contrairement à ce qu'on pourrait penser, l'orientation des résultats pour qu'ils collent avec certaines hypothèses n'est pas toujours faite consciemment.

On a beaucoup de biais inconscients qui nous font orienter nos expérimentations pour que ça marche et qu'on trouve que qu'on veut trouver, et ce dès la conception.

...

Heureusement pour la recherche de la vérité objective,

ces biais subjectifs ne peuvent pas tenir indéfiniment

parce que les mêmes résultats ne pourront pas être reproduits si on répète indépendamment les protocoles expérimentaux.

On peut tromper les gens grâce à la perception et la manipulation de la valeur sur le court terme,

mais sur la durée, plus ça va aller plus les perceptions vont s'estomper et plus c'est la véritable valeur qui va se révéler.

La réalité comme la science, elle n'en a rien à faire de ce que chaque chercheur veut qu'elle soit,

ça ne va pas changer ce qu'elle est vraiment.

...

Enfin tout le contrôle de ce qui est publié peut être vraiment vraiment chiant, avoir un arrière goût de censure et d'inquisition et pousser à créer des chambres d'echo collectives.

Mais en même temps ça peut aider à sortir des chambres d'echo individuelles.

Le contrôle permet de créer une intelligence collective et de mettre en lumière les angles morts de chacun et d'apporter des pistes inconnues.

Les chercheurs sont relus par d'autres chercheurs, 

et plus que l'inverse les chercheurs ont tendance à accepter les arguments nouveaux et originaux quand ils sont solidement fondés.

Donc si nos arguments se défendent, alors ils devraient passer.

...

Bref, si l'indépendance dans la recherche était plus grande sans que ça soit bien fait,

les dérives et l'entropie augmenteraient de manière critique,

et ce serait probablement le chaos.

Ce serait très galère d'organiser une science avec des personnes trop indépendantes,

et il y aurait probablement encore plus d'ego à se mettre en travers de la recherche de la vérité objective.

Ce qui est déjà l'un des gros problèmes, bien que ce soit un motivateur.

Par exemple actuellement avec le coronavirus il doit y avoir plein de chercheurs qui se sont rués pour être les premiers à trouver une solution,

et non pas simplement pour le bien commun.

C'est un sacré défi d'améliorer la science en tant que système et de contenir les dérives potentielles.

...

Donc ne croyez pas que je suis en train de critiquer le fonctionnement actuel de la science dans cet épisode et dire que c'est pas bien, il faut tout changer, etc.

Non, je suis plutôt en train de vous inciter à faire la paix avec certaines réalités de la vie.

Que ce soit en science et au delà.

Encore une fois la science est fondée sur des idéaux mais son éxecution met justement d'autant plus en lumière les difficultés et les contraintes humaines qui se mettent en travers de la réalisation de ces idéaux.

Certaines dynamiques sont pervasives.

Dans une certaine mesure, il y aura toujours des contraintes.

Il faut les accepter et faire avec au mieux.

C'est exactement la même chose avec le développement personnel et tous les biais de notre cerveau par défaut.

Il y a des conflits d'intérêts entre notre petit moi et entre notre grand moi.

...

Personnellement à partir de cette année, je vais mettre un terme à ma carrière dans la recherche scientifique.

Mais ce n'est pas par dépit.

C'est juste qu'il faut faire des choix et que je ne peux pas tout faire dans une vie.

Mais au contraire du dépit, mes 4 dernières années dans la recherche m'ont démontré que si on se bouge, qu'on est persévérant et habile,

eh bien c'est jouable d'avoir une attitude de créateur et d'avoir l'opportunité et la liberté de travailler sur des sujets qui nous intéressent,

y compris quand on est jeune et qu'on démarre.

Il faut être habile, mais c'est jouable.

C'est possible malgré les contraintes, ça dépend surtout de notre attitude et de ce qu'on se pousse à faire.

Parce que les contraintes ne sont pas contre nous, elles font juste partie du jeu.

Et il faut apprendre à négocier avec et non pas faire la victime.

Et encore une fois c'est une vérité qui est valable pour tout dans la vie.

On peut se faire des excuses ou on peut trouver des solutions.

Quand il y a de la fermeture c'est à toi de créer et trouver les bonnes ouvertures.

Quand il y a de la rigidité, c'est à toi de créer et trouver la souplesse.

Et pour ça ce n'est pas nécessaire de passer du côté obscur,

il faut surtout trouver les conditions initiales idéales.

Même si elles sont rares, elles existent, et si on veut vraiment les trouver,

alors on va les trouver.

...

Bref pour en revenir à Didier Raoult, ce n'est pas si étonnant toutes les controverses qu'il y a autour de lui et de son attitude jugée anti-scientifique en ce moment.

Je trouve que ça reflète assez bien tous les paradoxes et les conflits d'intérêts classiques qu'il peut y avoir dans le domaine de la recherche.

Ça met aussi clairement en évidence la projection naïve et romantique que la plupart des gens ont à propos des scientifiques.

...

Sur ce voilà qui clos cette vidéo de réflexion.

Si vous ne l'avez pas lu j'ai publié un nouvel article exclusif sur le blog de la chaîne,

je vous mets le lien en dessous en commentaire.

Comme d'habitude, je vous invite à vous abonner si ce n'est pas déjà fait,

à partager cette vidéo et laisser un pouce bleu si vous l'avez appréciée, ça m'aide pour la visibilité.

Quoi qu'il en soit je vous remercie de m'avoir écouté jusqu'au bout

et je vous dis à très bientôt pour la prochaine vidéo,

Ciao


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