Le 05/04/2022

Le PROBLÈME des ÉLECTIONS #0310



Partie 2 du résumé du livre "Democracy for Realists" de Larry Bartels et Christopher Achen parlant des limites de la démocratie (et des limites psychologiques des électeurs).

Cet épisode est la deuxième partie de ma série résumant les idées du livre "Democracy for Realists" de Larry Bartels et Christopher Achen.

En gros pour résumer le premier épisode, on a vu que la démocratie était un modèle idéal pratiquement impossible à bien appliquer à cause de toutes nos limites psychologiques.

L'un des problèmes majeurs sur lequel on va revenir dans cet épisode, étant que même indépendamment des idées politiques, les électeurs sont incapables d'estimer convenablement les performances d'un mandat.

Est-ce que le mandat d'un président a été plutôt positif ou plutôt négatif.

Comme je vous l'ai expliqué dans le premier épisode, les électeurs ont notamment tendance à juger le mandat sur les derniers mois avant les élections, et oublier tout le reste.

Les électeurs sont myopes et aveuglés par le court-terme.

Et c'est très problématique car ça incite les gouvernements à manipuler leur valeur proche des élections, afin de profiter de ce biais de récence et duper un maximum d'électeurs.

Le jeu des chaises musicales

Les auteurs du livre utilisent l'image du jeu des chaises musicales. Si tu n'as pas de chaise quand la musique s'arrête, tu es éliminé.

Les élections correspondent au moment où la musique s'arrête.

Si l'économie est mauvaise quand les élections arrivent, le gouvernement en place sera puni par les électeurs. Peu importe si c'est sa faute que l'économie est mauvaise à ce moment là.

Si l'économie est bonne quand les élections arrivent, le gouvernement en place sera récompensé par les électeurs. Peu importe s'il est responsable de cette bonne économie à ce moment là.

Du coup, si l'un des plans politiques du gouvernement qui est actuellement en cours ne donne pas encore de bons résultats quand c'est l'heure des prochaines élections, alors il sera jugé comme mauvais et on va chercher à éliminer ce gouvernement pour ça (càd ne pas le réélire).

Dit autrement avec la métaphore des chaises musicales, quand la politique du gouvernement en place n'est pas proche d'une chaise quand la musique s'arrête (càd quand c'est l'heure des élections) alors elle sera jugée comme mauvaise et on va chercher à éliminer le gouvernement pour ça (càd ne pas le réélire).

Peu importe si cette politique a été bonne avant l'arrêt de la musique, et peu importe s'il y a de fortes chances qu'elle sera bonne après l'arrêt de la musique.

Tout ce qui compte c'est le moment des élections ; avant c'est trop tôt, après c'est trop tard.

Le soucis encore une fois, c'est que contrairement aux chaises musicales où la musique s'arrête de manière aléatoire,

les élections quant à elles sont très prévisibles temporellement parlant.

On sait précisément quand la musique va s'arrêter. On peut l'anticiper, on peut se préparer.

Les gouvernements peuvent donc s'arranger à l'avance pour briller le plus possible au moment des élections, et tant pis si ça implique des problèmes après les élections, tant pis si ça implique de faire de la merde au début du mandat,

puisque tout ça ne compte pratiquement pas dans la tête des électeurs, soit ce n'est pas considéré, soit c'est déjà oublié.

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Une histoire de pari

Étant donné que les mandats sont relativement courts, les gouvernements qui entrent en fonction doivent en quelque sorte jouer au poker avec les mesures qu'ils vont mettre en place, et faire les bons paris.

Par exemple si le gouvernement envisage de mettre en place une mesure politique X qui actuellement est mal vue par le public et dont les premiers résultats positifs risquent d'arriver après la fin de ce mandat, eh bien il risque de se faire punir aux prochaines élections, et donc ne pas se faire réélire.

Parce que quand les "chaises musicales" vont s'arrêter au moment de voter, la position reflétée par les fruits de la décision politique du gouvernement sera mauvaise. Vu que les fruits ne seront pas encore sortis.

Alors que si les mandats étaient plus longs, les fruits de la politique controversée auraient le temps de sortir, la décision aurait le temps de faire ses preuves et convaincre (même logique que la gratification différée).

Les "chaises musicales" s'arrêteraient plus tard et les fruits des décisions du gouvernement seraient en bonne position à ce moment-là, et donc il se ferait réélire.

Donc encore une fois ça incite les politiques à la jouer Game of Throne et se réfréner d'entamer des politiques positives pour le long terme mais qui n'auront pas de fruits positifs durant leur mandat actuel.

Ça incite à brosser le peuple dans le sens du poil et choisir des mesures politiques qui les mettent bien maintenant dans l'opinion générale, afin qu'ils puissent se faire réélire.

Mais bien sûr pour certaines choses, c'est vraiment du poker, parce que le gouvernement n'est pas certain du moment où les décisions qu'il va prendre vont avoir des effets.

Il n'est pas certain que les conséquences des décisions vont arriver avant ou après les élections.

Et ça, ça complique tout.

Par exemple, admettons que l'opinion populaire penche fortement pour une option A vis-à-vis d'une décision politique.

Mais imaginons que des conseils d'experts indiquent au gouvernement qu'en fait l'option A est mauvaise et il faut prendre l'option B.

Si le gouvernement décide de prendre l'option B, il va aller dans le sens des experts, mais il va aussi se mettre le peuple à dos, car il va aller contre son opinion.

Admettons que le gouvernement décide de prendre l'option B malgré tout, et donc de se mettre le peuple à dos.

Sa seule chance de regagner l'opinion populaire, c'est que les conséquences positives de cette décision se manifestent avant les élections.

Ce qui n'est pas garanti.

Admettons que ce soit le cas, les répercussions positives se manifestent avant les élections.

C'est super pour le gouvernement, le pari aura payé, et peut-être qu'en voyant ces répercussions positives, l'opinion populaire va se raviser et réaliser elle aussi que c'était la bonne option.

Mais, si le gouvernement décide de prendre l'option B, de se mettre le peuple et à dos, et que les résultats positifs n'arrivent pas avant les élections pour pouvoir faire changer le peuple d'avis,

eh bien le gouvernement va se faire sévèrement tacler parce que l'opinion populaire sera toujours convaincue que c'était une mauvaise décision et que le gouvernement ne les a pas écoutés.

Donc dans ce genre de situation, c'est vraiment un coup de poker.

Parce que les complications ne sont pas finies.

En effet, même si le gouvernement avait décidé de ne pas écouter les experts, et de mettre le peuple de son côté en choisissant l'option que le peuple préfère, l'option A,

ben vu que cette option A est mauvaise en soi,  il est tout à fait possible que les répercussions négatives de cette option A vont se manifester avant les élections.

Et alors là, le peuple fera comme si c'était totalement la faute du gouvernement de ne pas avoir su prendre la bonne décision, et ils vont le dégager aux prochaines élections.

Le gouvernement peut se retrouver dans des situations où le peuple est en mode "pile je gagne, face tu perds".


Et du coup pour en revenir aux chaises musicales, les élections deviennent la fenêtre temporelle cruciale où les gens regardent.

L'électeur moyen ne tiendra compte que de l'état du système durant cette fenêtre temporelle (il oubliera totalement ce qui s'est passé avant et ce qui peut se passer plus tard).

Et ça pousse les gouvernements à adopter des stratégies de manipulation des apparences qui stimulent artificiellement les bons résultats autour des élections, quitte à générer des problèmes derrière.

C'est le même délire que de faire un régime avant le mariage pour la photo, de se mettre à la muscu avant l'été pour la plage, de réviser juste avant les examens (pour tout oublier après), etc.

Autrement dit, plutôt que de se concentrer à développer les bonnes choses sans se soucier des élections, le gouvernement va tout faire pour être proche d'une chaise quand la musique va s'arrêter, afin de ne pas se faire éliminer.

Sa façon de travailler, sa gestion des ressources, etc seront donc biaisées vis-à-vis de l'optimisation de l'apparence au moment des élections, et non optimisées pour faire le meilleur travail en soi.


De la même manière que le format des examens d'école (à savoir la façon dont on juge le niveau des élèves) qui ne sont pas en "contrôle continu" "encourage" à réviser au dernier moment pour tout oublier après (car l'oubli n'aura aucune incidence sur l'examen, et le fait qu'on a tout appris au dernier moment alors qu'on ne savait rien avant l'examen, non plus),

eh bien la façon dont les électeurs moyens jugent le niveau des politiques, ça les "encourage" à adopter cette stratégie de l'étudiant qui se met à travailler juste pour passer les partiels/examens.

Sauf que là c'est pour passer les élections haha

Les gouvernements n'ont aucune contrainte à ce que leur apparence au moment des élections reflète leur travail depuis le début du mandat, puisque les électeurs ne vont juger que les apparences au moment des élections.

De la même manière, les gouvernements n'ont aucun intérêt électoral à investir dans des stratégies de développement durable ;

parce que la fructification de cet investissement sera probablement trop lente pour les faire briller au moment des élections, et qu'ils risquent de donner des résultats positifs à leurs successeurs, à leurs concurrents.

Aussi il faut bien comprendre que les électeurs étant humains, ils jugent la différence relative et non la différence absolue.

Donc concrètement, si un gouvernement a des résultats stables du début à la fin de son mandat,

il paraîtra moins bon qu'un gouvernement dont les dernières années du mandat sont meilleures que les premières.

Peu importe si la moyenne du premier est bien meilleure que celle du second.

Dans le premier cas ça donnera un sentiment de stagnation, alors que dans le second cas ça donnera un sentiment de progression, un sentiment d'évolution.

Autrement dit, les gouvernements n'ont pas vraiment d'intérêt à se bouger le cul dès le début de leur mandat.

C'est dans leur intérêt de tout miser sur les dernières années du mandat, pour créer cette illusion de progression.

Et c'est ce qui fait quand dans les études, on retrouve un cycle infini : les revenus ont tendance à atteindre des sommets durant les années d'élection, puis à drastiquement chuter juste derrière, pour de nouveau remonter à l'année des prochaines élections, etc, etc.

Et le numéro de magie prend toujours.



L'exemple de la Grande Dépression

Pour terminer, je vais vous donner un exemple de ces dynamiques de chaises musicales.

J'en reparlerais dans le prochain épisode, mais dans le livre les auteurs prennent l'exemple de la période de la grande dépression des années 1930, durant laquelle l'économie a chuté à peu près partout, mondialement, avant de remonter à des sommets quelques années plus tard.

Le fait que l'économie ait chuté, ce n'était pas la faute des différents gouvernements en place, c'était plus la faute de l'époque en gros.

Mais dans tous les pays, les électeurs, qui étaient focalisés sur leur propre pays et qui ne se préoccupaient pas de ce qui se passait à l'étranger, eh bien ils ont agi comme si c'était la faute du gouvernement en place.

Sauf que dans chaque pays la politique lors du début de la crise n'était pas la même. Certains pays avaient un gouvernement à gauche, d'autres un gouvernement à droite.

Et du coup ce qui est marrant c'est qu'aux élections qui ont suivi l'entrée dans la grande dépression, dans chaque pays le gouvernement a changé de bord.

Les pays qui étaient à gauche sont passés à droite, et les pays qui étaient à droite sont passés à gauche.

Et ce qui est encore plus marrant c'est que comme la crise s'est améliorée mondialement mais que les électeurs étaient toujours focalisés sur leur pays et inconscients de ce qui se passe en dehors, eh bien ils ont attribué la grande remontée au nouveau gouvernement.

Ce qui fait que dans la plupart des pays, le gouvernement qui était là au moment de la grande remontée, il a été réélu pendant environ 15 ans. 

Il a profité de cette attribution positive, il a été associé dans les consciences avec du positif.

//opposé de l'époque (gauche pour les pays qui étaient à droite, droite pour les pays qui étaient à gauche) a été élu et

Donc pour résumer, implicitement ou explicitement, les électeurs ont attribué la mauvaise économie du début des années 1930 au gouvernement actuel de l'époque, et donc l'ont dégagé aux élections qui ont suivies, puis ils ont attribué la remontée mondiale naturelle au nouveau gouvernement.

Alors que dans les deux cas, c'était essentiellement une histoire d'être au pouvoir au bon ou au mauvais moment.

Ils ne pouvaient pas y changer grand chose.

C'était pas une histoire de politique.


Personnellement, ça m'a beaucoup fait penser à ce qui s'est passé début 2020 avec Didier Raoult.

Didier Raoult il a vu sa popularité exploser dans les consciences, parce qu'il a été là au bon moment.

Beaucoup l'ont pris pour un sauveur juste parce qu'il proposait une voie alternative, une promesse de résolution au problème qui s'abattait sur nous.

Implicitement, quand les temps sont durs, notre cerveau est à la recherche de sauveur et il est très sensible à toutes les promesses de solution.

Il s'est avéré que le cheval de bataille de Didier Raoult, l'hydroxychloroquine était en fait largement inefficace.

Mais même en étant inefficace, il y a plein de gens qui étaient convaincus que c'était un traitement efficace, parce que dans leur tête c'était trop tard, le conditionnement positif avait été installé.

Donc autant dire que si dans une réalité alternative l'hydroxychloroquine avait eu un effet positif considérable sur le covid, Didier Raoult aurait été durablement considéré comme un boss,

non pas juste par ses défenseurs, mais par pratiquement tout le monde.

Alors qu'il aurait autant sorti cette solution au pif que dans notre réalité à nous.

Donc cette décorrélation entre la stratégie et les effets, ça m'a vraiment fait repenser à ça.

Même quand tu proposes un truc qui ne fait absolument rien, si tu surfes sur des courants existants, ça peut donner l'impression que c'est toi qui contrôles la vague.

Ça peut donner l'impression que tu fais quelque chose de vraiment significatif.

Donc encore une fois dans le cas d'une crise économique, ça donne l'impression que le gouvernement fait de la merde.

Et dans le cas d'une reprise économique, ça donne l'impression que le gouvernement sont des sauveurs.


D'ailleurs dans le livre ils induisent que c'est une gros facteur qui a permis à Hitler d'arriver au pouvoir et d'être populaire.

Car il est arrivé au pouvoir pile à la fin de la crise, quand le rebond était déjà en route.


Sur ce on s'arrête là pour aujourd'hui, et on reprend la suite, avec tout ce dont je n'ai pas eu le temps de parler dans cet épisode, dans le prochain épisode.


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